Semaine du 9 an 15 novembre 1993 - L'EXPRESS

Boom économique... paralléle!

par DANIEL SANGER

 

Une ou deux fois par semaine,
Paolo recoit a diner un petit
groupe de personnes dans son
modeste appartement du centre—
ville montréalais. Les convives se
rendent habituellement directe-
ment 2; table dans la salle a diner
ou un repas a la sud-américaine
leur est servi.

On bavarde souvent apres la
tasse de catesinho et, certains
soirs, Paolo invite les gens a rester
plus longtemps pour une petite
séance de danse brésilienne im-
provisée.

Rien d’inhabituel ius ue la.
Sauf qu’avant de partir, il taut

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coinptant! Pas de cartes de credit.
Paolo ne veut pas que Ie ministere
du Revenu sache qu’il travaille an
iron.

Les dentistes en font autant.
Votre garagiste aussL Les em-
ploye’s de la construction et les dé—

anneurs iouent le meme jeu.

’éco-nomie parallele cana-
dienne connait actuellement
un veritable boom. Si les
revenus gouvernementaux
se transforment en veritable
peau de chagrin, voila la
principale cause, selon des
accusations souvent enten-
dues. Pas étonnant que les
gouvernements coupent sur
tout.

ll est impossible de me-
surer l’étendue des de’gats.
Mais, selon les chitfres dis-
ponibles, l’Etat perd des
milliards de dollars a cause
du uincailler qui vous
ven un gallon d'e’mail
blanc tout en faisant dis-
paraitre la TPS, a cause du
menuisier qui vous propose
un patio tout neuf pour 1000
S... ou bien une facture de
2000 S.

L’ampleur du phéno-
mene et ses couts exacts
sont matiere a rnoult de’bats.
Certains économistes qui
s’en tiennent aux seules ac-
tivités le'gales (teintées
d’illégalité) comme le yar-
con de table qui ne déc are
pas ses pourboires au fisc, esti-
ment que 15 a 20% de l’économie
du Canada a sombré dans les
zones grises.

D’autres, plus conservateurs,
s’en tiennent a pas plus de 4%. lls
incluent les types d’affaires ui
sont, par définitition, illégaies
comme la vente de drovue.

«Ce qui est beau ans ce do-
maine, declare Philip Smith de
Statistique Canada, c’est que
n’importe qui peut vous arriver
avec son propre montant, et il n’y
a vraiment aucun rno en de con-
firmer ou d’infirmer. Klous avons
affaire a un fantome», ajoute 1e

 

t'onctionnaire federal. Spectre ou
non, il n’y a as de doute que le
phenornene d: l’économie grise a
pris des proportions accrues au
cours des deux dernieres annees ,
ou du moins ses causes directes.
Méme les partisans de la TPS
admettent que cette nouvelle taxe
a aggravé les choses. Son impopu-

L’économie parallele
canadienne connait
actuellement un
veritable boom.
Les dentistes en font
partie, les garagistes

aussi. Les ouvriers de la
construction travaillent

au noir.
On accuse ce genre

de transactions sous la
table d’étre une cause

majeure des revenus

gouvernementaux qui

s’amenuisent.

larité, et le fait qu’elle soit facile-
ment identifiable - beaucoup plus
ue celle du manufacturier — ont
ait en sorte que les gens ont es-
sayé de trouver les moyens de la
gommer avant meme qu’elle soit
officiellement en vigueur.

En lancant la petite phrase:
«comptant settlement», le moyen
le plus courant de deiouer le gou-
vernement, il y a infraction dou-
ble. Non seulement la TPS n’est
pas payee mais la vente de tel ou
tel article n’est pas déclare’e aux
fins de l’impt‘it.

Une e’tude récente effectuée en
Ontario indique que les transac-

tions en argent comptant ont
beaucoup augrnente’. L'écono-
miste Peter S iro a decouvert qu’a
la suite de Pa TPS, les affaires
taites en especes ont tout a coup
augmenté. 11 y avait un déclin
marque depuis les années 50 a
cause du recours aux che ues et
aux cartes de credit. La T a fait
son apparition en 1991 et,
l‘annee suivante, les échan-
ges de billets de banque ont
augmenté de quasiment
quatre pour cent, estime le
spécialiste ontarien. Les dif-
ferents paliers de gouverne-
ment ont ainsi perdu 2,3
milliards 3.

Peter Spiro ne blame
quand méme pas unique—
ment la TPS. Les Canadiens
ont perdu de leur res ect
pour les politiciens, et i y a
tendance a s’adonner aux
pratiques se situant en
marge de la loi. 11 y a égale-
ment attaiblissement du
contrat social qui unit les
citoyens de ce pays, selon le
meme auteur.

Autre type d’exglication:
trois ,rofesseurs ’univer-
site a bertains y voient un
lien logique avec le taux de
chomage. Au cours d’un
collo ue international tenu
a Beillin en aot‘it dernier,
Vladimir Karoleff, Rolf
Mirus et Roger S. Smith ont
expliqué que les sans-em-
ploi ou ceux qui sont sur le
bien-étre essaient d’étirer leur
cheque du gouvernement en pas-
sant au noir.

Les specialistes du secteur des
attaires citent quelques autres fac-
teurs possibles comme les regles
strictes d’embauche du personnel
et la force des syndicats‘.

Selon les universitaires, il ne
sera pas facile de ramener l’éco-
nornie sur le terrain de la parfaite
légalité et de la vertu. Peter Spiro
aioute qu’un commercant ou tout
autre contrevenant qui a réussi sa
petite operation frauduleuse et ne
s’est pas fait prendre sera forte-
ment tenté de continuer encore

lon temps le meme petit manege.
’économiste ontarien va tou-
tefois jusqu’a admettre que l’éco-
nomie parallele comporte certains
avantages. H y a la une sorte de
subside ou de dégrevement d’im-
pot en faveur des PME qui créent
de l’emploi et qui reviendront par
la suite aux pratiques normales.
Les trois chercheurs albertains
ajoutent que les biens et services
sont ainsi disponibles a meilleurs
rix et que les économiquement
aibles peuvent ainsi en profiter.
Petite consolation en guise de
conclusion: les mandarins du
ministere du Revenu n'ont u'a
jeter un regard oblique du cote de
la Grece, de l’Espagne et de
Taiwan. Dans ces pays, l’écono-
mie parallele représente de 30 a
50% de toute la vie économique.

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